Sylvain Petitjean
Le tour du propriétaire était assuré par monsieur Stephen Lu lui-même. Comme un jeune marié, nœud papillon et costume trois pièces bleu marine, l’homme d’affaires chinois à la tête du groupe agroalimentaire Golden Field a présenté fièrement sa dernière acquisition : le château Bel Air, en appellation Castillon Côtes de Bordeaux.
Avant de se porter acquéreur en janvier dernier, Stephen Lu raconte avoir visité beaucoup de châteaux. Il est tombé sous le charme de cette propriété. « Le ciel était si pur, si différent de l’air pollué de la Chine. » Le côté historique du lieu ne l’a pas laissé indifférent. « Le château est un trésor. La maison date du XVIIe siècle, elle a plus de trois cents ans ! Elle est exceptionnelle, sur le haut d’une colline, avec une vue magnifique sur les vignes et les forêts autour. »
Rustique et chic
Quelques changements ont été apportés, en douceur. L’intégralité du château a été redécorée en respectant l’esprit des lieux, rustique et chic. « Les vieux meubles sont toujours là, avec une touche de modernité en plus. »
Une peinture représentant la bâtisse, réalisée par un artiste chinois venu ici en résidence quelques temps, trône dans un salon de dégustation. Dans la salle de billard (français, le billard), le bureau de monsieur Lu paraît un peu étroit, coincé au pied de l’escalier qui amène à l’étage.
Un souffle nouveau
Le conte de fée est aussi une jolie opération commerciale pour Golden Fields. Fort de ses 55 hectares (soit environ 400 000 bouteilles annuelles), Bel Air est l’une des propriétés les plus importantes de la rive droite. Le géant chinois possède 4 000 restaurants et épiceries principalement dans les régions de Pékin, Shanghai et Taïwan. Autant de points de vente qui seront fournis avec 50 % de la production de Bel Air. Pas plus, selon Stephen Lu. L’autre moitié sera réservée au marché français.
L’ancien propriétaire restera dans les coulisses de la production pendant les deux prochaines années. Patrick David avait quitté le négoce en 1993 pour devenir vigneron et a agrandi le vignoble au fil des années.
« Il faut avoir les reins suffisamment solides pour se tourner vers l’export. » Ses vins Château de Francs La Comtesse, Château La Chapelle Monrepos, Grusy-Bellair et Bel Air sont déjà vendus en Chine, au Japon ou aux États-Unis. « Je ne suis pas inquiet pour l’avenir du château. M. Lu a le souci de la qualité et du prestige de la propriété. Le groupe va apporter un souffle nouveau. »
Une cuve, une parcelle
Le reste de l’équipe, trois salariés permanents, ainsi que l’œnologue Marc Quertinier, continueront à travailler sur le domaine. « Nous allons assurer la continuité. L’esprit des vins restera le même. » Avec cependant la volonté de satisfaire la clientèle chinoise.
« Comme tous les consommateurs aujourd’hui, ils sont sensibles à la préhension des tanins. La cuvaison sera plus courte pour faire du vin plus facilement consommable jeune. Mais il pourra continuer à se garder. »
Dans les projets à très court terme, Golden Field envisage de moderniser les chais. Des cuves plus petites pourraient renforcer l’équipement actuel du château. « Nous avons un terroir très nuancé. Une cuve, une parcelle, nous permettrait de respecter au mieux le parcellaire. »
Avec l’assentiment du nouveau propriétaire, Marc Quertinier souhaite poursuivre son travail d’orfèvre. Il déguste tous les deux jours pour suivre au plus près le rythme d’extraction.
Un tempo à faire coïncider avec celui du nouveau propriétaire. Bel Air est une première étape pour Stephen Lu, qui ne cache pas son ambition de développer son implantation dans le Bordelais. « Nous cherchons un autre château, pourquoi pas un Saint-Émilion grand cru ? »